A l’origine le roman était considéré comme un genre marginal de la littérature. En effet, le terme roman dérive du mot « romanz » qui était la langue populaire opposé aux langues antiques. Cependant, ce genre littéraire s’impose aujourd’hui comme le plus populaire et le plus traduit. Cela est en partie dû à sa grande diversité, mais aussi aux personnages fictifs qui ont marqués l’Histoire tel que Sherlock Holmes ou encore Jean Valjean. De plus, « Le nom commun est capital », Flaubert insiste ici sur l’importance du personnage dans le récit, qui devient l’acteur de l’intrigue. Le caractère du personnage peut-être inspiré par le réel, cependant, il est souvent considéré comme fictifs et extraordinaire, dépassant les limites du réel vers l’imaginaire.
Dès lors nous pouvons nous demander si les personnages romanesques doivent-ils être des acteurs imaginaires le plus éloigné du réel ?
Dans un premier temps, nous étudierons les personnages extraordinaires et leurs particularités. Et dans un second temps, nous mettrons en avant l’aspect réaliste de leur caractère qui permet l’identification du lecteur au travers le travail du traducteur littéraire.
Tout d’abord, le romancier met en scène des personnages imaginaires aux caractéristiques stéréotypées.
En effet, les romanciers se sont inspirés du réel pour créer des caractères romanesques. Cependant, ces personnages sont imaginaires et extraordinaires découlant de l’esprit du romancier. Ce sont des « êtres de papier ». Au Moyen-âge on met en scène des personnages héroïques qui incarnent des valeurs chevaleresques comme la bravoure et le courage. Il s’agit alors d’exemples de comportements comme dans La chanson de Roland (traduit en français moderne par Joseph Bédier en 1921), le personnage éponyme est porteur de vertu et acteur de l’épique. Tout comme plus tard, Gil Blas, personnage du roman picaresque de Lesage qui devient un héros parvenu vaguant de métier en métier avec courage et soif de découverte. C’est personnages ont alors une portée didactique, tout comme Candide de Voltaire qui incarne l’optimisme et n’a donc pas la complexité d’un être humain. Il s’agit d’un exemple qui permet d’illustrer les arguments du philosophe. Il dit alors que les meilleurs romans « sont ceux qui font faire la moitié du chemin au lecteur ». Ces personnages sont alors imaginaires mais représente des valeurs dans un but didactique.
Cependant, les personnages peuvent être totalement issus de l’imaginaire de l’auteur et perdre tout caractère humain, car le réalisme « est le plus éloigné de la vérité, […] il nous appauvrit ». Ainsi, Proust souligne l’importance de l’évasion dans le roman qui passe également par les personnages. En effet, de nombreux romans à succès de nos jours mettent en scènes des personnages de sciences fictions tel que la trilogie du Seigneur des anneaux, et l’invention d’être fantastiques comme le Hobbit ou encore Harry Potter (qui a été transposé dans notre langue par le traducteur français Jean-François Ménard). Mais la science sert souvent de point de départ à ces récits comme les Morlocks, êtres vivants sous terre inventés par H. G. Wells pour le roman La Machine à explorer le temps (roman traduit par Henry-David Davray (1873-1944). D’autre part, des caractères humains sombres sont également l’origine de ces romans fictifs comme dans La métamorphose de Kafka, ou encore dans Le Horla de Maupassant qui expérimentait lui-même la démence due à une maladie. Ainsi, les personnages peuvent être issus de l’imaginaire et de l’esprit du romancier et du traducteur de romans.
De plus, au XX° siècle, les auteurs, choqués par les Guerres Mondiales et inspirés par l’existentialisme, mettent en scène des personnages marginaux, dénués d’intérêt pour la vie que l’on appelle anti-héros. Ces derniers vivent dans un monde qui ne leur convient pas mais ils ne semblent pas se plaindre. Ils sont l’application du dégout du monde et ainsi imaginaires par leur manque de réactivité tout comme le personnage de L’étranger de Camus à qui même son mariage semble sans importance. Ces personnages peuvent également évolués dans des mondes invraisemblables comme dans la dystopie de Huxley où les personnages se complaisent dans leur monde injuste et absurde. Cependant, ce roman semble être prémonitoire car il dévoile « les consciences isolées contre tout le monde ont représenté la conscience universelle » que Ionesco décrit en parlant du totalitarisme et du conformisme. Ainsi, l’anti-héros est un personnage fictif et stéréotypé mais qui a sa part de réalité.
Alors, les personnages romanesques sont fictifs et extraordinaires, ils proviennent de l’esprit de l’écrivain ayant pour but de divertir mais aussi instruire lecteur en le transposant dans une réalité fantastique. Cependant, ces personnages ont leur part de réel car ils découlent du rapport avec le monde qu’a le romancier.
Tout d’abord, les romans mettent en scène des personnages inspirés par le réel qui permettent au lecteur de s’identifier.
En effet, le héros découle de l’expérience de l’auteur et donc de sa perception du monde. Au XVII° siècle, les auteurs comme Mme de Lafayette essaient de rapprocher ce genre de la réalité, elle écrit alors La princesse de Clèves est une analyse psychologique du personnage historique mais trop vertueux pour être réel. Dans la même optique de nombreuses écrivaines étudient la condition féminine et le sentiment amoureux comme les sœurs Brontë et Jane Austen. Par la suite, au XIX° siècle les auteurs romantiques cherchent à retranscrire leurs sentiments dans leurs romans et leur soif de justice et liberté. C’est ce qui fait le propre des romans de Victor Hugo notamment dans Les misérables où à travers les vies croisées de différents personnages comme celle de Jean Valjean, il dénonce la misère et l’injustice. De plus, la forme autobiographique apparait et l’auteur passe un pacte avec le lecteur, mis en place par Rousseau. L’auteur devient alors lui-même le héros du roman et de ce fait il est le reflet subjectif de la réalité et de l’Histoire comme dans l’ami retrouvé de Fred Uhlman. Ainsi, l’auteur essaie de retranscrire la réalité mais celle-ci est biaisée par la subjectivité et l’expérience de l’auteur.
Cependant, au XIX° le mouvement réaliste apparait les auteurs cherchent à retranscrire « l’histoire oubliée [...] celle des mœurs ». Ainsi, des auteurs comme Balzac ou Stendhal mettent en scène des héros du quotidien de chaque classe pour représenter le monde. Ils utilisent de nombreux procédés pour intensifier cet effet de réel comme le point de vue omniscient ou de longues descriptions. Les auteurs du roman nous présentent des personnages qui évoluent avec la société comme dans l’éducation sentimentale comme Eugène Rastignac qui part à la conquête de Paris en se heurtant à de nombreuses difficultés. Stendhal décrit alors le roman comme «un miroir qui se promène sur une grande route ». A la suite du réalisme s’inscrit le naturalisme avec comme chef de fil Emile Zola. Il pousse plus loin la volonté réaliste en se positionnant comme « un observateur et un expérimentateur » en s’aspirant des travaux scientifiques de Claude Bernard et de l’étude précise de l’Homme. Zola représentera dans le Cycle des Rougon-Macquart des personnages plus que réels à travers le déterminisme héréditaire, social et historique comme Gervaise qui ne peut échapper à l’appel de l’alcool. Ainsi, ces auteurs voient les romans comme un « laboratoire » où ils font évolués des personnages comme Dieux le ferait avec les hommes.
Enfin, la complexité de ses personnages qui tendent vers le réel permet aux lecteurs de mieux s’identifier grâce au romancier/auteur et aux plusieurs traducteurs du roman. En effet, on peut comprendre l’ennuie de Mme Bovary ou encore les passions de Thérèse Raquin car elles sont ancrées dans le réel et son construites autour de la complexité des sentiments. D’autres romanciers cherchent encore aujourd’hui à toucher les lecteurs comme Laurent Gaudet qui veut sensibiliser les européens face au destin des migrants à travers le roman Eldorado où évolue de façon parallèle un garde côte italien et un jeune migrant somalien. Ces auteurs jouent avec les points de vue et nous emmènent avec eux dans leur voyage. Cependant, certains personnages peuvent se transformer en héros de par leur courage. L’auteur joue alors avec le réel et l’extraordinaire pour dépeindre des personnages aux destins divers aux quelles le lecteur peut s’identifier.
En conclusion, la diversité du genre romanesque permet aux personnages de prendre une multitude caractères et de formes différentes. Du fantastique au réaliste, il découle toujours de l’esprit de l’auteur et ne peut refléter l’exacte réalité. Ainsi, les auteurs s’attachent à mettre en scène des personnages héroïques représentant des « surhommes », mais aussi des hommes ordinaires dont la banalité peut les rendre également extraordinaire.
De plus, le personnage devient le choix de l’écrivain et ensuite des traducteurs du roman. L’auteur devient alors « comme Dieu, présent partout, et visible nulle part » selon Flaubert.